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Aux perturbateurs, la victoire !

Par Michael J. Koplow

Traduit par Catherine Kammer-Mayer



Rien ne renvoie les individus à leur refuge tribal instinctif et viscéral qu’un conflit entre Israël et le Hamas. Quelquefois, les choses sont compliquées, et quelquefois, elles sont tranchées, mais dans la situation actuelle, il est bien difficile de faire la part des choses. Lorsque les bombes pleuvent sur les Israéliens et les obligent à s’abriter au milieu de la nuit, en pyjama, dans des abris ou des cages d’escaliers, ou lorsque des édifices entiers à Gaza City s’effondrent et se transforment en ruines, l’ouverture à un contexte plus large est pratiquement non-existant. Pourtant, nous allons essayer.


Il existe deux séries d’événements - les tensions entourant Jérusalem et la violence entre Israël et le Hamas - qui sont en train de déraper hors contrôle, et bien qu’ils soient reliés par certains points importants, ils devraient être examinés séparément. Nombreux sont ceux qui diraient que les tensions qui se sont développées autour de Jérusalem ces dernières semaines sont complexes, et que le conflit Israël/Hamas est simple, c’est en fait le contraire. Ces deux situations sont menées par des extrémistes, mais ce qui se passe à Jérusalem est exactement ce qui semble être, alors que le Hamas en train d’isoler le centre d’Israël ne l’est pas.


Jérusalem est sous tension parce que des deux côtés, c’est ce que les plus radicaux veulent. Quand Itamar Ben-Gvir installe un bureau temporaire à Cheikh Jarrah juste en face d’un repas iftar, c’est parce qu’il essaye d’imposer la suprématie juive - pas israélienne - sur l’ensemble de Jérusalem et qu’il veut provoquer une émeute. Lorsque les agitateurs du groupe juif et suprémaciste Lehava défilent dans les rues du centre de Jérusalem, c’est pour chercher querelle aux Palestiniens et aux policiers et faire passer le message que Jérusalem est réservé aux Juifs. Quand des milliers de Palestiniens se rassemblent autour de la mosquée al Aqsa, en scandant le bombardement de Tel Aviv et l’interdiction aux Juifs de s’approcher du Mont du Temple, c’est parce qu’ils ne reconnaissent pas le droit des Juifs ou la connection vis-à-vis d’Israël. De part et d’autre, ce sont des extrémistes adoptant des positions extrêmes et démontrant des comportements inacceptables.


Ce qui semble plus complexe encore ne l’est en fait qu’au premier coup d’oeil. L’attention accordée aux projets d’éviction à Cheikh Jarrah est plus forte que jamais, des membres du Congrès faisant pression sur les réseaux sociaux et des diplomates étrangers soulevant la question auprès du gouvernement israélien. De ce fait, il est convenu maintenant de qualifier la situation de “compliquée sur le plan juridique”. En effet, comme l’explique en détail mon collègue Evan Gottesman dans son explicatif, il existe un contexte historique, légal, complexe et emmêlé touchant les propriétés visées de Cheikh Jarrah. Au centre de la controverse, ce n’est pourtant pas une question juridique complexe qui existe mais bien une simple question politique : aux termes de la Loi de 1968 sur les questions juridiques et administratives, les Juifs ont le droit de reprendre possession de propriétés qui leur appartenaient à Jérusalem-Est avant l’occupation de la ville par la Jordanie en 1948, et les Arabes n’ont pas le même droit ni à Jérusalem-Ouest ni dans le reste d’Israël. En fait, Israël a créé un droit de retour pour les Juifs, et seulement les Juifs, à Jérusalem, ce qui permet aux propriétés de Cheikh Jarrah d’être remises en question. Par conséquent, qualifier cette situation de question juridique privée entre deux parties est en réalité fallacieux. Sans cette loi de 1968, la situation n’existerait pas, et si un Palestinien essayait d’utiliser un contrat légal émanant des mêmes autorités britanniques ou ottomanes démontrant clairement son droit de propriété à Baka ou Talbieh avant 1948, la loi ne le permettrait pas. Vous pensez peut-être que cela ne pose pas problème, puisque Israël est un état juif et que les droits des Juifs à Jérusalem ne devraient aucunement être proscrits. Reconnaissez toutefois que cet état de choses existe grâce à une décision de l’État de respecter le droit de propriété des Juifs pré-datant la création de l’État, mais qu’elle refuse le même droit de propriété aux Palestiniens. Appelez cela comme vous le voulez, mais ce n’est ni compliqué, ni nébuleux.


Passons à la deuxième partie de ce chaos. Le Hamas couvrant Israël de bombes semble à première vue très simple. Le Hamas est un groupe terroriste, sans respect pour la vie des Israéliens, il ne fait aucune différence entre civils et combattants, et les Israéliens doivent vivre avec la menace de ses bombes depuis des années. Ce qui est différent cette fois-ci, c’est que malgré les ultimatum concernant Jérusalem qu’ils ont lancés en tentant de créer un lien entre Cheikh Jarrah et le Mont du Temple et ce qu’ils font, les dirigeants du Hamas ne veulent en fait rien d’Israël. Ils ne font que profiter du moment présent et de cette occasion unique au sein de la politique palestinienne, et les bombes contre lesquelles les Israéliens tentent de se protéger sont en fait une tentative d’écraser le Fatah.


Le Hamas n’a jamais voulu se limiter à Gaza. L’objectif du très bon programme de coordination de sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne est d’empêcher le Hamas de s’implanter en Cisjordanie. Mais après que Mahmoud Abbas ait créé des espoirs d’élections - un geste qui a été très populaire auprès des Palestiniens - puis anéanti ces mêmes espoirs en reportant les élections indéfiniment, le mécontentement de la population envers Abbas et le Fatah a atteint de nouveaux sommets. Il existait déjà de nombreux signes démontrant que le Fatah ne parviendrait pas à gagner directement les élections législatives, mais le Fatah s’est en fait divisé en trois listes : celle dirigée par Abbas, celle de Marwan Barghouti et Nasser al-Qudwa, et celle de Muhammad Dahlan, et ces divisions n’ont fait que confirmer la grande fragilité du Fatah. Nous ne mentirons pas en disant que le Fatah, et par extension l’Autorité palestinienne, sont plus faibles en ce moment qu’à aucun autre moment sous le régime Netanyahu.


Le Hamas a suivi tout cela, et il a perçu les tensions à Jérusalem comme l’occasion rêvée de poser un plus grand geste. Non seulement se positionne-t-il dans le coeur des Palestiniens comme le défenseur ultime de Jérusalem, mais il tente d’encourager un soulèvement en Cisjordanie qui entraînerait la chute du Fatah et éventuellement lui apporter le contrôle de la région. On peut raisonnablement présumer que le moment a également été dicté, du moins partiellement, par l’entrée éventuelle du parti islamiste Ra’am de Mansour Abbas dans une coalition israélienne, car le Hamas sait très bien que cela ne pourra pas se produire tant qu’il y aura présence des forces militaires israéliennes à Gaza, et il ne veut en aucune façon voir les Arabes israéliens s’intégrer à Israël. Les Israéliens sont maintenant pris au piège entre le Hamas et les Palestiniens. Le plus remarquable dans tout ceci est que malgré le calme relatif de cette semaine en Cisjordanie par rapport à Gaza ou même à Israël même, les autorités israéliennes trouvent le moyen de jeter le blâme sur l’Autorité palestinienne, ce qui pourrait être drôle si ce n’était pas si incroyable.


Enfin, il nous faut parler des événements en fait les plus inquiétants, c’est-à-dire les échauffourées ethniques entre citoyens juifs et arables à Lod, Ramie, Akko, et autres villes mixtes en Israël. Elles ont commencé par des foules arabes incendiant des synagogues, des magasins et des voitures, ont continué par des actes de vengeance par des Juifs contre des Arabes, et hier se sont complètement détériorées avec des tentatives de lynchage des deux côtés. L’initiative de ces attaques par des Arabes israéliens ne peut pas être dissociée de leur contexte - quoique cela n’excuse en rien des gestes qui ressemblent à ceux d’une guerre civile - où, malgré tous les gains récents et la notion que les Arabes israéliens sont au bord d’une véritable intégration, car tout cela survient à la suite d’années de déstabilisation. De la loi de l’État-nation à l’augmentation des crimes violents (entre Arabes) dans les municipalités arabes, à la démolition des communautés bédouines aux suprémacistes juifs accueillis à bras ouverts à la Knesset par le premier ministre, ajoutez à ce baril de poudre l’étincelle de Cheikh Jarrah, la fermeture des marches de la porte de Damas et l’extinction des haut-parleurs de al-Aqsa pendant le Ramadan, les scènes de policiers utilisant des gaz lacrymogènes au Mont du Temple, et ce que vous avez ne ressemble pas à 2014, mais plutôt aux années menant à 1948.


Dans toute cette situation, ce sont les extrémistes qui gagnent, et ce sont eux qui dictent le déroulement des événements. Lorsque les bombes et les attaques aériennes se tairont, et que Gaza devra être reconstruite, personne n’aura envie de le faire. L’injustice fondamentale de Cheikh Jarrah a été effacée par la flambée de violence. L’idée d’avoir des partis arabes israéliens au sein du gouvernement ressemble à un rêve. Et les États-Unis, qui peuvent et devraient toujours jouer un rôle productif, a brillé par son absence depuis que l’administration Biden s’en tient à une politique qui équivaut à une certaine indifférence et qui espère que le conflit israélo-palestinien disparaisse de la carte. C’est un peu banal de dire que la nature n’aime pas les vides, mais pourtant, partout où l’on regarde, ce sont les joueurs les plus extrêmes qui profitent du fait que ceux qui agissent avec responsabilité sont introuvables ou muets.


Michael Koplow est directeur des politiques du Forum des politiques sur Israël, basé à Washington, DC. Pour le joindre, prière de lui écrire à :

mkoplow@ipforum.org

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