L'avenir d'Israël dépend de l'intégration des harédi
La voie de l'isolement dévastera l'économie du pays - même de modestes avancées vers la modernisation ne compenseront pas le fardeau démographique
Gilad Malach, Times Of Israel Blog;https://blogs.timesofisrael.com/israels-future-depends-on-haredi-integration/
14 septembre 2022
Traduit par David Cohen
Il y a 125 ans, Theodor Herzl échoua dans ses efforts pour persuader les dirigeants ultra-orthodoxes de rejoindre le mouvement sioniste. 50 ans plus tard, après l'Holocauste et avant la création de l'État d'Israël, les dirigeants politiques du mouvement Agudat Israël[1] ont décidé de ne pas rester isolés, ont signé la Déclaration d'indépendance et ont rejoint le système politique israélien. Aujourd'hui, 74 ans plus tard, nous sommes à la croisée des chemins concernant la question de l'isolement ou de l'intégration de la communauté ultra-orthodoxe ou harédi dans la société israélienne. Toute décision aura des conséquences cruciales non seulement pour la communauté ultra-orthodoxe mais pour l'ensemble de la société israélienne et de l'économie du pays.
Le fondement de la société ultra-orthodoxe est sa culture isolationniste ou « enclavée ». La communauté haredi lutte pour son autonomie afin de se soustraire aux tentations de la modernité et de la vie laïque, et se concentre exclusivement sur la vie strictement religieuse. Cette culture enclavée pose cinq défis principaux aux décideurs politiques israéliens.
Économie : En raison du faible taux d'emploi parmi les hommes harédi et de la faible qualité de leurs emplois, la contribution des ultra-orthodoxes à l'économie israélienne reste minime.
Société : Les clivages entre les différents groupes qui composent la mosaïque de la société israélienne, notamment entre les ultra-orthodoxes et ceux qui se définissent comme laïcs, sont très profonds et créent une forte tension intercommunautaire.
Démocratie : Les résultats des enquêtes montrent systématiquement que l'engagement envers les valeurs et les institutions démocratiques parmi les ultra-orthodoxes est, au mieux, faible. Par exemple, la plupart des membres de la communauté s'opposent à l'octroi de droits égaux aux citoyens arabes, nient la pleine souveraineté de la Knesset et ont peu de respect pour l'autorité des tribunaux israéliens.
« Partage du fardeau » : La plupart des ultra-orthodoxes ne servent pas dans l'armée, suscitant un ressentiment considérable parmi leurs pairs orthodoxes modernes et laïcs qui passent trois ans dans l'armée israélienne.
Infrastructures : La croissance rapide de la communauté ultra-orthodoxe entraîne la nécessité d'accélérer le développement des infrastructures : villes, écoles, moyens de transport, hôpitaux, etc.
Afin de relever ces défis, au cours des 20 dernières années, divers décideurs politiques ont pris des dispositions et fait des adaptations spéciales pour intégrer les ultra-orthodoxes dans les principaux domaines de la vie, en particulier dans l'armée, l'enseignement supérieur et le marché du travail.
Ces adaptations – souvent reflétées dans des unités structurelles séparées – sont adaptées au mode de vie de la société ultra-orthodoxe. L'État soutient ces dispositifs, souvent pour les garder sous le radar afin de ne pas subir de réaction de la part de la communauté ultra-orthodoxe et de ses dirigeants. Ces dispositifs créent ce que j'appelle des « enclaves intégrées », ségréguées d'une part, tout en visant d'autre part l'intégration (par exemple des classes séparées pour les hommes et les femmes dans les universités).
Alors, quels sont les résultats de ces efforts ?
Considérons un aspect, la participation au marché du travail. Ici, nous assistons à un grand succès parmi les femmes ultra-orthodoxes : Au cours des 20 dernières années, il y a eu un bond important dans leur emploi: de 51 % à 78 %. Chez les hommes ultra-orthodoxes, le tableau est moins clair : malgré une forte augmentation du taux d'emploi, de 36% à 51%, ce taux stagne depuis six ans, sans augmentation significative de l'emploi.
Alors, que nous réserve l'avenir? La tendance à l'intégration peut-elle surmonter une croissance démographique rapide ? Dans 30 ans, les ultra-orthodoxes représenteront près de 25 % de la population israélienne. Cela implique que même si l'emploi atteint un niveau d'environ 65 %, l'impact négatif de la croissance rapide de la population harédi l'emportera sur la hausse de l’intégration, et sera encore plus important qu'aujourd'hui. De toute évidence, l'intégration de la communauté est un besoin crucial.
es tendances à l'isolement ou à l'intégration seront influencées par les changements internes au sein de la société ultra-orthodoxe au cours des 30 prochaines années. Il y a trois scénarios possibles :
1.Le premier scénario suppose que la société ultra-orthodoxe parvient à un équilibre entre intégration et isolement, entre ceux qui travaillent et ceux qui étudient la Torah à plein temps. Compte tenu de la croissance rapide de la communauté, cette situation est intenable pour l'État d'Israël, tant sur le plan économique qu'en termes de cohésion sociale.
2.Le deuxième se concentre sur les tendances à l'intégration au cours des 20 dernières années en Israël, et sur le modèle ultra-orthodoxe aux États-Unis, qui est celui d'une intégration beaucoup plus forte dans l'économie. Mais même si les ultra-orthodoxes israéliens adoptaient pleinement le modèle américain, au niveau macro, l'économie d'Israël se détériorerait encore, en raison de la forte croissance démographique de la communauté ultra-orthodoxe.
3.Le troisième scénario, le plus prometteur, suppose que le processus d'intégration sera beaucoup plus rapide que ce que nous voyons aujourd'hui, en raison des changements technologiques rapides (tels que les téléphones intelligents et l'accès à Internet), des niveaux élevés de pauvreté et d'un leadership faible chez les harédi, ce qui pourrait conduire à plus de modernité. Ce scénario relancerait l'économie et apaiserait les tensions entre les populations laïques et ultra-orthodoxes.
L'État d'Israël ne peut tout simplement pas faire face au premier scénario. Pour passer au deuxième ou au troisième scénario, on pourrait penser en termes de pyramide qui exhibe les différents niveaux d'intégration ou d'isolement que la politique gouvernementale devrait favoriser.
Le plus fondamental est l'intégration au niveau fonctionnel. Pour atteindre ce niveau, l'État devrait exiger des écoles harédi qu'elles incluent des matières «laïques» (mathématiques, anglais, etc.) dans le programme et prennent toutes les mesures nécessaires pour accroître l'emploi des hommes harédi. La stratégie visant à réaliser ces changements majeurs doit combiner des incitatifs et des mesures négatives, la carotte et le bâton, comme conditionner le financement des établissements d'enseignement à l'inclusion de matières «laïques» dans le programme scolaire.
Le deuxième niveau de cette pyramide renvoie principalement aux domaines de l'éducation et de l'emploi. Ici, nous recommandons à l'État d'adopter une approche multiculturelle. C'est-à-dire des cadres séparés et/ou une adaptation culturelle, ainsi que des incitatifs pour permettre à la communauté de continuer son mode de vie et d'adhérer à ses croyances.
Le troisième niveau est celui qui est très susceptible de mener à des désaccords et des controverses. Il ne fait aucun doute que la société israélienne continuera à s'engager dans des débats sur les questions religieuses et culturelles et sur d'autres questions importantes. Mais si le pays réussit à atteindre les premier et deuxième niveaux d'intégration, la société israélienne aura la capacité de contenir ces désaccords.
Il y a 125 ans, Herzl n'a pas réussi à convaincre les dirigeants ultra-orthodoxes de rejoindre le mouvement sioniste, mais clairement, le mouvement a réussi sans leur soutien. 50 ans plus tard, ces dirigeants ont signé la déclaration d'indépendance, mais ce n'était pas d'une importance cruciale. Mais cette fois-ci, nous devons bien faire les choses. L'intégration des ultra-orthodoxes aux différents niveaux que j'ai décrits est cruciale pour l'avenir de l'État d'Israël.
À PROPOS DE L'AUTEUR. Gilad Malach est le directeur du programme de la société ultra-orthodoxe à l'Israël Democracy Institute.
Commentaires de David Cohen
Juste réaliser le 2e scenario posera tout un défi, à savoir s’ approcher du système américain dont le niveau d’ intégration des harédi est plus fort qu’ en Israël même si on observe des ratés sérieux au plan de l’ éducation laïque des harédi dans l’état de New York en particulier, là où se concentrent les communautés harédi américaines.
Malheureusement, la démographie harédi avantage l’élection de coalitions de droite en Israël et l’illibéralisme. Si un gouvernement mené par Netanyahou réussit dans les prochains mois à former un gouvernement de coalition, ce sera de nouveau la politique du bar ouvert pour financer les yeshivas harédi. Ainsi, Netanyahou vient de promettre aux partis harédi ashkénaze que s'il était élu Premier ministre, il augmenterait le budget des institutions harédi qui n'enseignent pas les matières laïques de base, incitant ainsi ces institutions à ne pas adopter le nouveau programme offert par le gouvernement Lapid visant à fournir des fonds additionnels aux écoles harédi si elles enseignent les mathématiques, l'anglais et l'hébreu. Quant au 3e scenario, cela nécessiterait des coalitions pro-éducation laïque alors qu’à présent l’électorat est également partagé entre les partisans pro et anti-laics. Le jour où Netanyahou quittera la politique, la formation de coalitions de droite/extrême droite pro- harédi sera plus probable car des partis de droite anti- Netanyahou et pro-harédi pourront s’y joindre plus facilement créant ainsi un obstacle sérieux à l’idée du 3e scenario prônant une forte intégration.
[1] Agudat Israël est un parti politique juif ashkénaze harédi en Israël à prédominance hassidique. Il se combine souvent avec le parti Degel HaTorah non hassidique ashkénaze harédi pour les élections. Lorsqu'ils sont ainsi combinés, ils sont connus sous le nom de Judaïsme uni de la Torah. (Wikipédia, Note de David Cohen)