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Les communautés ultra-orthodoxes en Israël sont-elles destinées à rejeter la modernité?

Dernière mise à jour : 13 mars 2021

Suite à l’article précèdent expliquant les principaux termes du débat entre la religion et l’État, nous nous penchons plus précisément sur la « tribu » des haredim, plus particulièrement leur statut socio-économique et politique. Il sera aussi question de leur perception de la société israélienne, mais aussi celles des Israéliens à leur endroit. Enfin, nous étudierons les tendances lourdes qui se dessinent quant à leur place dans la société.


Les dirigeants haredi israéliens ne considèrent pas les mouvements réformé et conservateur comme une forme authentique de judaïsme. Les plus extrémistes d’entre eux les perçoivent comme des hérétiques. Certains ont été jusqu’à traiter les juifs réformés de «chiens» ou de «clowns».


Chaque « tribu », comme les appelle le président d’Israël, Reuven Rivlin , soit les haredim, la droite religieuse nationaliste et ultra-nationaliste, ainsi que les conservateurs traditionalistes et les laïcs, vit séparée plus ou moins dans sa propre bulle sociale, tels les lieux de prière, le réseau d’ amis, le travail, le mariage, l’école, l’armée et les quartiers résidentiels. Le système actuel n’est en fait pas propice à la cohésion nationale et génère un malaise constant voire des crises existentielles au sein de la société israélienne.


Situation socio-économique des haredim

La communauté haredi est le groupe qui connaît la croissance démographique la plus rapide en Israël, car le taux de fécondité des femmes haredi est plus du triple de celui de la population juive, soit 6.5 enfants par femme ultra-orthodoxe.


Cette communauté est pauvre dont 45 p. cent des membres vivent en dessous du seuil de pauvreté, un taux proche de celui des arabes israéliens.


En 2019, les étudiants ultra-orthodoxes qui constituent 19 p. cent de la population étudiante nationale représentent une très faible proportion de la population étudiante dans l'enseignement supérieur soit 4 p. cent. La grande majorité de ces étudiants sont des femmes. En termes de diplomation, les disparités sont aussi criantes.


En 2019, le taux d'emploi des hommes haredi est nettement inférieur à la moyenne nationale masculine, tandis que le taux d'emploi des femmes haredi est proche de la moyenne nationale féminine.


Le revenu moyen des travailleurs ultra-orthodoxes en 2017 représente moins des 2/3 de celui des autres travailleurs juifs en raison des faibles salaires, même si le revenu des femmes haredi, agissant comme principal soutien de famille, est proche de la moyenne nationale pour les femmes.


Nouvelles tendances socio-économiques et politiques

Le tableau général socio-économique est mitigé quoique encourageant au sens où on observe des progrès de la société haredi vers la modernité. En effet, des signes clairs émergent d'une transition d'une communauté insulaire vers l'intégration dans la société israélienne. Cette tendance est reflétée par des indicateurs positifs tels que la participation accrue des femmes au marché du travail et dans les institutions d’études supérieures; l’augmentation du revenu familial; l'utilisation accrue de l’hébreu plutôt que du yiddish et de la technologie (voiture, internet, emploi); la participation dans l'armée et le service national civil; et la réduction du taux de pauvreté.


Et pourtant, dans des domaines-clés tels que chez les hommes, l'inscription dans les établissements d'enseignement supérieur, l'emploi, le recrutement dans l'armée et chez les femmes, le taux de fécondité, les progrès ont considérablement ralenti ou atteint un plateau. Selon le Israël Democracy Institute[1], une raison majeure de cette tendance lente au changement pourrait être l'impact des incitations gouvernementales sur les hommes haredi qui les découragent à rejoindre le marché du travail et les encouragent à s' inscrire dans les yeshivas.


Les haredim fréquentent de plus en plus les Israéliens en dehors de leurs communautés fermées, et cela est vrai surtout pour les femmes qui sont de plus en plus présentes sur le marché du travail. Les hommes ne se mêlent qu’avec ceux qui sont issus de cercles ultra-religieux, comme dans l’armée ou le marché du travail. Ce faisant, ils partagent de plus en plus les points de vue intolérants[2], racistes et annexionnistes en particulier des religieux ultra-nationalistes.


Les haredim tendent à maintenir leur religiosité mais politiquement ils sont passés à partir des années 90 d’un sionisme tiède à un sionisme adepte du "Grand Israel". Ainsi, ils soutiennent la ligne dure des partis de droite/extrême-droite sur l’annexion des territoires[3] ou l’expansion des colonies[4]. De plus, ils s'opposent au pluralisme religieux et ethnique en Israël ainsi qu’au pouvoir de la Cour suprême en raison de ses décisions défavorables aux pratiques du rabbinat officiel. En fait, leur objectif à long terme est une plus grande inclusion de la halakha dans le fonctionnement de l'État.


Selon un sondage Pew[5], la plupart des Juifs israéliens conviennent qu’Israël peut être à la fois un État juif et démocratique, ce qui ‘il est (en fait, c’est une démocratie imparfaite, au 27e rang devançant une majorité de pays de l’Union européenne en 2020)[6]. Mais si une décision démocratique entre en conflit avec la loi juive, la grande majorité des Juifs laïcs et conservateurs pensent que les lois civiles devraient primer sur la loi religieuse tandis qu'une proportion tout aussi importante de haredim et de religieux pense que la loi juive devrait primer sur les lois civiles.[7]


Les haredim d'origine européenne (Ashkénazes) votent massivement pour le parti du Judaïsme unifié de la Torah (7 sièges) et les Séfarades haredi pour le Shas (9 sièges), un parti relativement plus ouvert à la modernité. Le parti religieux nationaliste (Yamina), allié de facto des partis haredi, détient 6 sièges. Les récents sondages donnent autour de 30 sièges sur 120 aux partis juifs religieux, répartis moitié-moitié entre les partis haredi et les partis religieux non-haredi.


Il semble que les politiques gouvernementales des 25 dernières années visant à intégrer les haredim dans l'armée, l'enseignement supérieur et le marché du travail ont eu plus de succès chez les femmes.


Les groupes haredi tout comme la population laïque en Israël se comportent parfois de manière intolérante, les uns vis-à-vis des autres, ce qui occasionne un débat extrêmement polarisé. Cependant les actes fanatiques et violents proviennent essentiellement de groupes haredi et des religieux ultra-nationalistes. Par exemple, il existe une importante faction haredi ashkénaze (10 p. cent des haredim ashkénazes), «la faction de Jérusalem», qui utilise la violence pour s’opposer à la conscription et aux études supérieures pour les haredim, au respect des mesures sanitaires sur la Covid19, et à plus de liberté pour les femmes haredi.[8] Quant à la coalition religieuse ultra-nationaliste, elle renferme des adeptes de l’ ancien parti Kach fasciste, interdit à la Knesset car il était considéré comme une organisation terroriste.


Les partis anti-haredi considèrent les ultra-orthodoxes comme des profiteurs qui bénéficient disproportionnellement de l'aide de l’État pour financer leurs institutions religieuses et leurs familles nombreuses et contribuent trop peu à la société par leurs impôts et leur participation dans l'armée ou le service civil. Selon un récent sondage, une forte majorité d’Israéliens a le sentiment que leur société est de plus en plus divisée et rejette la faute sur les dirigeants politiques, les médias et l'establishment religieux. Seuls 31 p. cent des Israéliens considèrent les ultra-orthodoxes comme une partie «intégrale» de la société israélienne[9]. A la défense des haredim, notons leurs œuvres de charité et leur bénévolat exemplaire tel que ZAKA,£ en matière humanitaire lors d’accidents, d’actes terroristes ou de catastrophes servant toute la société y compris à l’international.


Les sondages montrent clairement que la grande majorité des Juifs israéliens préfèrent le pluralisme religieux aux diktats du rabbinat orthodoxe. Cependant, l’adoption de toute nouvelle loi à la Knesset restreignant l’autorité du rabbinat a peu de chance de passer si les partis religieux continuent de faire partie de la coalition gouvernementale, une situation fréquente depuis les années 90. Les partis haredi usent en fait une stratégie pragmatique pour participer au pouvoir qui été surtout de droite.


Quel avenir pour la société israélienne?

Compte tenu de leur haut taux de natalité, les haredim joueront probablement dans le futur un rôle grandissant dans la politique en Israël. En effet, leur part de la population israélienne devrait représenter 20 p. cent en 2040. En 2065, ce serait près d’un-tiers. Si ces projections se vérifient et qu'une grande partie de la société haredi masculine continue de rejeter la modernité, cela pourrait avoir de graves conséquences sur la capacité de l'économie et de la société à soutenir un tel fardeau. Le coût global pour la société d'encourager le mode de vie actuel haredi est estimé à plus de 2.2 milliards de dollars US par an.


Le poids de ce fardeau dépendra de la nature des politiques gouvernementales: seront-elles conçues pour influencer les hommes haredi à faire leur service militaire ou service national civil, à fréquenter les établissements d'enseignement supérieur et à participer au marché du travail dans des secteurs payants ou continueront-elles à encourager les familles nombreuses et la fréquentation de yeshivas bâties aux frais de l’état.


L’OCDE[10] recommande aux autorités israéliennes de rendre leurs subventions aux écoles haredi conditionnelles à l’augmentation de l’enseignement de matières-clés et à l’utilisation de tests de performance pour les étudiants. Il y a peu de chances que ces recommandations soient mises en œuvre tant que les partis religieux feront partie des coalitions gouvernementales.


Le mouvement des hommes haredi vers la modernité restera-t-il bloqué au bas de l’échelle ou embrassera-t-il la modernité comme c’est le cas des nationalistes religieux? Une plus grande ouverture à la modernité demeure possible mais elle aurait comme corollaire un État d’Israël plus religieux et «illibéral», si les haredim font partie du gouvernement. C’est seulement si ces derniers ne font plus partie du gouvernement qu’Israël aura plus de chances de conserver son caractère démocratique et d’accroitre sa cohésion sociale.

[1] Pour plus de détails voir les rapports annuels de The Israël Democracy institute (IDI) -Reports on ultra-orthodox : https://en.idi.org.il/media/14526/statistical-report-on-ultra-orthodox-haredi-society-in-israel-2019.pdf [2] https://www.timesofisrael.com/new-poll-shows-strong-anti-arab-sentiment-among-israeli-jews/ [3] https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-can-you-guess-which-party-s-voters-support-settlements-the-most-1.5433023 [4] https://www.jpost.com/israel-news/ultra-orthodox-show-strong-support-for-settlement-annexation-631143 [5] Pew survey : https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/03/08/key-findings-religion-politics-israel/ [6] Economist Intelligence Unit; https://en.wikipedia.org/wiki/Democracy_Index [7] Pew survey, 2016 [8] https://www.jpost.com/Israel-News/Is-the-split-in-the-haredi-community-permanent-508339 [9] https://www.timesofisrael.com/israelis-increasingly-feel-their-society-is-divided-and-getting-worse-poll/ [10] 2018 OECD economic survey of Israel: Towards a more inclusive society, Mars 2018

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