Pourquoi Blinken aura du mal à convaincre
Dernière mise à jour : 18 juin 2021
David Makovsky
25 mai 2021
Traduit de l'anglais du blog de Times of Israël par Catherine Kammer-Mayer
L’administration Biden ne peut pas résoudre le conflit aujourd’hui, mais il peut en diminuer l’ampleur en aidant les deux parties à prendre certaines mesures qui les mèneront vers la création de deux états.
Le Secrétaire d’État Anthony Blinken est arrivé à Jérusalem aujourd’hui. Sa visite marque la fin des pourparlers diplomatiques et secrets dirigés par les Américains pour mettre fin à la guerre de 11 jours menée à Gaza entre Israël et le Hamas.
Malgré les critiques perçues dans son pays et à l’étranger, Biden a réussi à naviguer entre les écueils politiques et à poursuivre ce qu’il a toujours préféré faire au cours de ses cinquante ans de politique active au niveau national. Il a toujours pensé que les liens personnels étaient la clé de son implication en politique étrangère.
Ses opposants présentent la pression publique comme une panacée. Pourtant, c’est sans grand succès que les administrations de George W. Bush, Obama et Trump ont utilisé tour à tour la tribune publique comme forme de pression, en temps de guerre comme en temps de paix. Pendant la Seconde Intifada, Bush a demandé publiquement à Israël d’arrêter son offensive, mais Israël a continué sa campagne pendant un autre mois, car il estimait que des vies étaient en danger.
L’administration Obama, elle aussi, a pris le micro en public plusieurs fois pour exprimer son désaccord avec Israël pendant la guerre de Gaza de 2014 (“Operation Protective Edge”), mais cela n’a pas été concluant. La guerre a continué pendant encore 51 jours - et non pas 11 comme cette fois-ci. En outre, le nombre de victimes palestiniennes en 2014 a été d’environ 2 500, c’est-à-dire huit fois le nombre de victimes du récent conflit armé selon les chiffres fournis par les Palestiniens.
L’année dernière, l’administration Trump a pensé pouvoir utiliser sa tribune d’intimidation pour forcer les Palestiniens à accepter son très controversé plan de paix, sans toutefois y parvenir.
La double approche de Biden a été plus ciblée. Publiquement, Biden a été très clair à propos du droit d’Israël de se défendre contre les attaques du Hamas, tout en négociant avec les deux parties dans les coulisses. Il a compris qu’exercer une pression publique ne servirait qu’à provoquer la colère du Premier ministre Netanyahu pour des raisons de politique interne, tout en encourageant le Hamas à revenir en force.
Selon un représentant senior de la Maison-Blanche, un moment clé de ces pourparlers diplomatiques secrets est survenu lorsque l’Égypte a réussi à convaincre le Hamas d’arrêter ses tirs de roquettes sur Tel Aviv pendant un certain temps, démontrant ainsi que le Caire serait en mesure d’amener le groupe terroriste à accepter un cessez-le-feu.
Est-ce que cela veut dire que Biden a enduré la dernière crise de Gaza ? Non. En mettant les choses au mieux, disons que la réussite signifierait une plus longue période de temps avant le prochain conflit armé. Pourquoi ce pessimisme ? Le Hamas ne tirait pas sur Israël parce qu’il cherchait une solution à deux états mais parce qu’il n’accepte Israël sous aucune de ses formes. Il a donné son accord à un cessez-le-feu pour profiter de la trêve et se réapprovisionner en armes. Cela explique pourquoi les premiers sondages suggèrent que les Israéliens ne se réjouissaient pas du cessez-le-feu - parce ce qu’ils savaient que la menace du Hamas était toujours présente. Ce n’est pas à cause de l’administration Biden, c’est simplement parce que le problème chronique est toujours là.
Avant que Blinken ne parte pour le Moyen-Orient, Biden a déclaré qu’il aimerait que l’Autorité palestinienne (AP) joue un rôle plus grand à Gaza, même si le Hamas s’y trouve toujours. Fort probablement, Blinken ne demandera pas à Abbas de retourner à Gaza, mais même simplement jouer un rôle plus prépondérant de l’extérieur ne sera pas facile. Blinken est le premier secrétaire d’État américain à rencontrer le président Mahmoud Abbas depuis que l’AP a boycotté les États-Unis en 2017, et il va peut-être se rendre compte que cette rencontre ne sera pas facile à faire accepter.
La raison secrète en est simple et réside dans les 4 guerres de 2008/2009, 2012 et 2014 et 2021 entre Israël et le Hamas. Personne, incluant Israël, l’Égypte and l’AP ne veut envoyer des troupes armées au sol pour désarmer le Hamas. Pourtant, une fois que l’on écarte la question du désarmement du Hamas, il ne reste que de mauvais choix. Le prochain conflit est peut-être remis à plus tard, mais il n’est pas éliminé.
Si le Hamas conserve son armement, Abbas va vouloir rester loin de Gaza - même si tout le monde veut qu’il y revienne. Certains se souviennent de la guerre de 2014, mais peu se souviennent de ses séquelles. Il y eut en Égypte une conférence internationale visant à recueillir des dons au profit de Gaza ; cinq milliards de dollars ont été promis, mais rien n’a jamais été versé. Pourquoi ? Selon Abbas, si le Hamas restait armé, il (Abbas) en porterait la responsabilité sans en avoir l’autorité. C’est à lui que l’on reprocherait les tirs de roquettes du Hamas contre Israël. Depuis, il est resté à l’extérieur de Gaza.
La visite de Blinken ne sera donc pas aisée. Il doit faire preuve de la même diplomatie régionale que Biden a utilisée avec tant d’habileté pendant la crise. De leur côté, les leaders arabes doivent communiquer à leurs publics que tant qu’un Hamas armé dirigera Gaza, une reconstruction massive de Gaza avec l’appui international n’est pas absolument nécessaire. La façon dont les élections palestiniennes et leur annulation a été gérée est une blessure que les Palestiniens se sont infligée eux-mêmes. La présence de Blinken doit être renforcée, mais elle doit l’être par les pays arabes avoisinants, pas simplement par Washington.
Mais Biden et Blinken ont un message à livrer à Israël, pas juste à l’Autorité palestinienne. Biden se distingue en déclarant à juste titre qu’il n’y aura pas de paix “jusqu’à ce que la région énonce sans équivoque qu’elle reconnaît à Israël son droit d’exister en tant que nation juive indépendante. Il n’y a pas de changement à mon engagement envers la sécurité d’Israël. Aucun changement. Un point, c’est tout.”
Mais Israël doit entendre la fin de la phrase de Biden. Ce dernier conclut en disant :”Ce qu’il nous faut est la création de deux états. C’est la seule solution”.
En effet, si la solution à deux états ne progresse pas, les Palestiniens et leurs sympathisants aux États-Unis vont se faire les avocats d’une solution à un seul état, une solution peu judicieuse vouée à l’échec. Pourtant, Israël, fort sur le plan économique et militaire, n’est pas sur le point de s’effondrer et de renoncer à sa vision sioniste qui constitue sa raison d’être.
En effet, il existe une énorme complexité à la situation actuelle et qui ne fait qu’augmenter si l’on y ajoute la création de deux états. L’administration Biden a tenté de rester très loin des questions qui exigent une résolution finale et de concentrer plutôt ses priorités vers d’autres points chauds de la planète. Cependant, entre résoudre le conflit et gérer le conflit, il y a “réduire l’ampleur du conflit”. Par exemple, cela signifie que les États-Unis et les gouvernements arabes avoisinants aident ceux qui restent hors du conflit : l’AP et la Jordanie. Il peut y avoir des moyens pour les deux parties d’envisager des mesures intérimaires sans fermer la porte à la solution à deux états, même si elles ne sont pas appliquées immédiatement.
Il était intéressant d’entendre le ministre israélien responsable des forces de police dire, pendant la crise de Gaza, qu’Israël a retiré ses troupes de Cisjordanie pour s’occuper des conflits intercommunautaires. Cela signifie que l’AP réussissait à elle seule à faire respecter l’ordre. Les états du Golfe pourraient aider la Cisjordanie avec des projets économiques. Pour l’administration Biden, il y a une différence énorme entre l’approche diplomatique telle qu’adoptée pour Gaza et l’approche “résolution de conflit “ prévue pour la politique étrangère américaine dans le reste du monde.
Cependant, le fait est que six états arabes ont normalisé leurs relations avec Israël. Aucun de ces états n’est revenu sur sa décision à cause de Gaza, car les accords qu’ils ont signé sont avantageux pour eux et pour l’ensemble de la région. De plus, ils perçoivent le Hamas comme une entité déstabilisante. Tout cela laisse entendre que le conflit pourrait être réduit, faute d’être résolu pour l’instant. L’approche diplomatique de Biden démontre qu’il pourrait posséder les outils nécessaires pour ce faire, même s’il est impossible en ce moment d’aller très loin en ce sens.
David Makovsky est un Ziegler Distinguished Fellow au Washington Institute où il dirige le Projet Koret sur les relations arabo-israéliennes. Il a travaillé au Cabinet du Secrétaire d’État américain en 2013-2014 en qualité de conseiller principal auprès de l’Envoyé spécial pour les négociations Israélo-palestiniennes (SEIPN). Il est le co-auteur avec Dennis Ross de l’ouvrage paru en 2019 “Be Strong and of Good Courage: How Israel’s Most Important Leaders Shaped its Destiny”. Il a créé le podcast “Decision Points” qui se concentre sur les relations États-Unis/Israël et les liens arabo-israéliens.
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