Pourquoi nous appuyons Stéphane Dion
Co-écrit par Bernard Bohbot et David Cohen, Publié le 14 mars 2016, Le devoir
À titre de membres (mais nous parlons en notre nom personnel) des Canadiens amis de la Paix maintenant, organisation qui milite pour la cessation de la colonisation israélienne en Cisjordanie ainsi que pour la création d’un État palestinien indépendant aux côtés d’Israël, nous souhaitons réagir à la lettre de Rachad Antonius, professeur à l’UQAM (Le Devoir, 26 février). Dans cette lettre, adressée au ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion, M. Antonius qualifiait de « honte » le soutien apporté par le gouvernement fédéral à la motion conservatrice condamnant le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) contre Israël. Selon lui (ainsi que Québec solidaire et les grandes centrales syndicales québécoises qui soutiennent BDS), il s’agit du seul moyen non-violent pour changer la politique d’Israël envers les Palestiniens.
Nous ne souhaitons pas polémiquer avec M. Antonius. Toutefois, en tant que membres d’un groupe dont la raison d’être est la lutte contre la création d’implantations israéliennes et leur expansion en Cisjordanie et à Jérusalem Est, nous voulons mettre en relief son double-discours. Car depuis quelques années déjà, M. Antonius, qui réclame l’évacuation de la Cisjordanie par Israël ainsi que la constitution d’un État palestinien indépendant à ses côtés — ce qui est louable — fait également la promotion du mouvement BDS. Or, BDS a des objectifs beaucoup moins nobles, soit la destruction pure et simple de l’État d’Israël. Malheureusement, M. Antonius n’est pas le seul à essayer de susciter l’adhésion au mouvement BDS, tout en dissimulant ses intentions véritables.
Certes, le mouvement BDS ne réclame pas ouvertement la liquidation d’Israël. Toutefois, les exigences de ce mouvement sont articulées de telle manière que si elles devaient toutes être acceptées, l’État d’Israël cesserait d’exister. Car outre le fait qu’il exige la fin de l’occupation de la Cisjordanie ainsi que la fin des discriminations contre les citoyens palestiniens d’Israël (ce qui est tout à fait légitime), BDS réclame également la possibilité pour tous les descendants des réfugiés palestiniens de la guerre de 1947-49 (estimés à près de 6 millions), de pouvoir retourner et vivre en Israël. Or, si un tel retour non-consenti par Israël devait avoir lieu, l’État d’Israël serait constitué majoritairement de Palestiniens. Il cesserait donc d’exister comme État juif. Pour citer Omar Barghouti, co-fondateur de BDS qui, contrairement à M. Antonius, avance à visage découvert : « Si tous les réfugiés rentraient, il n’y aurait pas une solution à deux États, mais une Palestine à côté d’une autre Palestine. »
Il va sans dire que sans le consentement d’Israël, un retour illimité des réfugiés palestiniens serait illégal. Car même si droit au retour il y a (inscrit dans la résolution 194 des Nations Unies), les résolutions onusiennes protègent aussi l’existence d’Israël (à travers les résolutions 181, mais surtout les résolutions 242 et 338, les deux seules à avoir une portée contraignante puisqu’elles émanent du Conseil de sécurité et non pas de l’Assemblée générale, dont les résolutions n’ont qu’une portée symbolique). C’est justement pour éviter ce « clash of rights », que les résolutions 242 et 338, acceptées par l’Organisation de libération de la Palestine, réclame non pas un droit au retour illimité, mais bien un « juste règlement du problème des réfugiés » palestiniens, qui respecterait également l’existence d’Israël. Cela implique évidemment un compromis sur le nombre de réfugiés autorisés à retourner en Israël même. C’est pour cela qu’en 2000, Bill Clinton a proposé un plan de paix qui prévoyant, entre autres, un droit au retour illimité au sein de l’État palestinien ; mais un droit au retour restreint pour ce qui est du territoire israélien lui-même accompagnés de dédommagements de dizaines de milliards pour les réfugiés ne pouvant retourner en Israël même. Évidemment, BDS rejette cette idée que nous appuyons et qui impliquerait un renoncement à la destruction d’Israël.
À vrai dire, le mouvement BDS est tellement radical que même l’Autorité palestinienne, qui reconnaît Israël (contrairement à BDS), « ne demande pas le droit au retour de six millions de Palestiniens, veut leur trouver une solution », rejette le boycott des produits de l’ensemble de l’État d’Israël et soutient uniquement le boycott des colonies juives.
Pour conclure, souhaitons que les lecteurs du Devoir ne se laissent pas berner par le mouvement BDS qui partage en réalité les mêmes objectifs que le Hamas, le Hezbollah et le régime des Mollah de Téhéran : soit la destruction de l’État d’Israël. Aussi, nous souhaitons réitérer notre soutien au gouvernement canadien pour sa condamnation de BDS, tout en nous opposant à la limitation de la liberté du droit d’expression, qui n’est en rien un appui à la politique illégale et immorale de colonisation du gouvernement Netanyahu.